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Mental dans le rugby : et si l’on s’inspirait de ce qui se fait de mieux à l’étranger ?

Voici en extrait le retour de Simon Barrué-Belou, prépa physique et kiné français, qui fait le point sur le fonctionnement des staffs professionnels en Nouvelle-Zélande. Intéressant, non ?

Extrait :

« Rugbyrama: Vous parlez beaucoup d’innovation et d’ouverture vers les compétences extérieures. Pouvez-vous l’illustrer ?

Simon Barrué-Belou (prépa physique et kiné du Stade Toulousain):
Les néo-zélandais ont bien compris qu’il fallait utiliser de nombreux supports et compétences à son service afin de simplement limiter au maximum la part aléatoire. Ensuite, il y a une place importante donnée à la préparation mentale, au développement personnel et à la prise en compte de tout l’environnement des joueurs. On peut voir par exemple, dans des staffs, une personne en charge du développement personnel qui est à temps plein dans le club. Mais également des préparateurs mentaux qui interviennent beaucoup sur ce qu’ils appellent des « mental skills », du travail d’imagerie motrice, de visualisation, etc.
Ils ont des créneaux de travail individuel ou par groupe de joueurs au cours de chaque semaine.  »

Article intégral dans rugbyrama.fr

Retrouvez l’article complet ici :

https://www.rugbyrama.fr/rugby/prepa-physique-un-frenchy-chez-les-kiwis-episode-1_sto6664814/story.shtml

Réflexions à propos du manque de préparation mentale dans le rugby français

Au lendemain de la défaite du XV de France contre les All Blacks le samedi 11 novembre 2017, je lis cet article de l’Équipe : https://www.lequipe.fr/Rugby/Actualites/Les-sept-soucis-du-xv-de-france/850162 qui débute par :

« Pas de préparation mentale, entame de match déplorable, des erreurs en défense, des mauvais placements en attaque : le XV de France sans leaders n’a pas su faire tomber les All Blacks, s’inclinant (18-38). Le mal est profond. »

Et cela m’inspire quelques réflexions…

Il y a quelques années, dans n’importe quel sport, les raisons d’une défaite auraient été attribuées à un joueur ou un groupe de joueurs, à l’entraîneur, aux manques tactiques ou physiques ou encore aux limites techniques !
Et là, dès le lendemain de la défaite, la première raison invoquée est non seulement le mental, mais surtout le manque de préparation mentale ! On dirait bien que les mentalités bougent, et je trouve cela positif… 🙂

Je propose ici un décryptage en reprenant trois points qui me paraissent majeurs pour comprendre l’état d’esprit du sport français en 2017 et préciser les choses :

1/ Qu’est-ce qui se fait ailleurs ?

L’Équipe écrit :

« La France est la seule nation majeure à ne pas disposer d’un préparateur mental. Les All Blacks ont intégré Gilbert Enoka* dès 2004 et les écossais Eric Blondeau (ancien «mentaliste» de Clermont) en 2014. Samedi, les Tricolores avaient besoin de coup de boost psychologique. »

J’ajoute : il en est de même dans de nombreux autres sports, individuels ou collectifs, où le reste de l’Europe a intégré la préparation mentale au sein des entraînements et des compétitions, mais en France, cela n’est pas encore développé systématiquement dans les clubs ou les équipes nationales.

2/ Cadre du travail en Préparation Mentale

L’Équipe écrit :

« Sur la fin du mandat de Philippe Saint-André, nous avions un préparateur mental avec nous, Christian Ramos. Mais les joueurs se posaient la question de savoir si c’était l’allié du staff ou leur allié de manière privé et confidentielle, précise Yannick Bru. »

J’ajoute : il me paraît étonnant que les joueurs se posent ce genre de question : « l’allié du staff ou leur allié ? » . Pour remédier à ce genre de questions une fois le travail en préparation mentale entamé, il est primordial que le cadre soit posé, en particulier la confidentialité, la bienveillance, le non jugement. Il est hors de question que le contenu du travail effectué avec le(s) joueur(s) soit communiqué au staff. En revanche, le travail se fait en coordination avec le staff pour que le mental soit intégré aux entraînements et à la préparation des matchs. Tout cela est posé, est communiqué et doit être accepté par tous dès le début du travail pour garantir la réussite du projet.

3/ Répartition des rôles

L’Équipe écrit :

« [Yannick Bru]: On a élargi le staff avec beaucoup de compétences périphériques mais pas celle-là. La préparation mentale reste le domaine réservé de notre patron. »

J’ajoute : il me paraît sain que l’entraîneur veuille avoir la main mise sur le mental de ses troupes. Néanmoins, perd-il la main sur le physique de ses joueurs en laissant au préparateur physique la gestion des entraînements (musculation, endurance, résistance) ?
C’est bien pour moi l’entraîneur le premier préparateur mental, encore faut-il qu’il soit formé à cela. En rugby, un entraîneur de TOP 14 depuis plusieurs années a par exemple suivi le D.U. « Préparation Mentale, Interventions et Aide à la Performance » de Clermont-Ferrand. C’est un plus non négligeable.
Enfin, et avec l’expérience du travail avec certains d’entre eux, l’entraîneur, comme le préparateur physique, est souvent seul face à ses athlètes. Il a alors aussi besoin d’écoute pour conserver la confiance en lui et l’estime de lui tout au long des épreuves, résister à la pression et animer le sportif avec la même détermination vers la performance.
L’apport d’un préparateur mental peut alors être un complément appréciable, pour les joueurs, comme pour le staff. 🙂


*En complément, je vous joins un article sur le « pilote secret des Blacks », Gilbert Enoka (paru dans L’Equipe le 15/10/2015, Karim Ben-Ismaïl) :

Le pilote secret des Blacks

Ex-coach mental, Gilbert Enoka est devenu manager adjoint et a révolutionné de l’intérieur la culture des joueurs néo-zélandais.

Gilbert Enoka a vécu plus de 200 matches au sein du staff néo-zélandais, qu’il a intégré en 2004.

SWANSEA (GAL) – Il apparaît en filigrane à travers des éléments de langage que distillent les coachs ou les joueurs. Comme s’ils avaient tous le même mode de pensée, les All Blacks répètent : « On travaille sur ce que l’on peut contrôler » ou encore « il faut accepter ce sur quoi on n’a pas de prise ». Ces phrases toutes faites portent la marque de Gilbert Enoka (57 ans), qui a fêté son 200e match avec les Blacks, face à la Géorgie, le 2 octobre (43-10). Quand, à cette occasion, on a tenté d’interroger Steve Hansen sur l’apport d’Enoka, le sélectionneur s’est braqué : « Je ne vais certainement pas vous délivrer nos secrets, disons qu’il nous apporte beaucoup. » Intégré comme « coach mental » en 2004, Enoka est devenu, onze ans plus tard, manager adjoint.

Celui que les joueurs surnomment « Bert » était, au début, un intervenant technique, au même titre que l’Australien Mike Byrne, spécialiste des coups de pied. Sauf que « Bert » opère dans la zone plus tortueuse de la psyché. Sceptiques et ruraux, les Kiwis préfèrent le concret au lyrisme mais, par son pragmatisme, Enoka a su remporter l’adhésion.

Si, samedi, vous apercevez Richie McCaw en train de taper ses crampons sur la pelouse du Millennium, c’est qu’il procède à un exercice mental pour se « regrounder », c’est-à-dire se remettre les idées en place et les pieds sur terre. De même, si vous surprenez Kieran Read en train de fixer un point en hauteur dans le stade, ce n’est pas qu’il a reconnu une copine. Mais qu’il est proche de ce qu’Enoka appelle la « zone rouge » et cherche à revenir en « zone bleue » par de la visualisation positive. Malmenés par les Argentins lors de leur premier match (26-16), les All Blacks ont impressionné par leur force mentale en continuant à développer du jeu plutôt que de se recroqueviller.

AVEC LUI, McCAW PORTE LES BOUTEILLES ET WILLIAMS LES BALLONS

Il y a quelques années, quand il n’était pas encore « secret défense », Enoka avait répondu à nos questions. Il nous avait raconté sa carrière de volleyeur (9 ans en équipe nationale), ses études d’éducation physique et de psychologie. Son arrivée chez les tatoués du rugby et son rôle au sein des Blacks. « Je ne suis pas un “motivateur”, ces gars n’ont pas besoin de ça. Mon rôle est de leur offrir des techniques pour gérer les tensions de la compétition. Le cerveau a trois zones : l’instinct, les émotions et la réflexion. Cette dernière s’efface sous l’effet du stress. L’obligation de résultat peut crisper ou inhiber si on pense à l’enjeu, au regard du public ou au jugement médiatique. Si on est trop dans l’après, on devient anxieux. Si on pense trop au passé, ça peut être douloureux. Il faut juste revenir à la simplicité du moment présent. » Enoka n’a rien inventé. Juste adapté les principes du bouddhisme zen qui prescrit d’être « ici et maintenant ». Il a mis au point une routine athlétique, des exercices de visualisation et de respiration pour quitter la « zone rouge » et revenir en « zone bleue ». Mais il a fait plus que ça. D’abord, il a fait accepter l’idée que ce travail devait être une partie intégrée et systématique de l’entraînement « au même titre que les séances de muscu ou de cardio. Car on ne devient pas fort mentalement par le simple fait d’être un athlète. »

Ensuite, Enoka a fait comprendre aux entraîneurs l’intérêt d’être, eux aussi, coachés pour optimiser leur capacité d’analyse, relationnelle et décisionnelle. Enfin, Enoka a fait évoluer la culture des All Blacks : « Il y a trois systèmes qui peuvent détruire un groupe : la culture du “moi” – je ne me soucie pas des autres –, la culture du “silence” – on vit et on ressent des choses, mais on ne communique pas – et la culture du “secret” – on se dissimule les uns des autres. La confiance est la base de toute aventure humaine. » Sans ce changement radical de culture, ses exercices n’auraient été que des gadgets. Fini aussi la verticalité des coachs qui ordonnent à des joueurs qui exécutent. Ces derniers sont associés, voire responsables des choix tactiques. Des « cellules » dédiées aux différents compartiments de jeu sont animées par des leaders. La discipline ? Les joueurs ont eux-mêmes établi des règles et sont chargés de les faire appliquer. Quant à l’humilité, elle n’est pas un discours. Le photographe américain Nick Danziger, qui a vécu en immersion un mois avec les All Blacks, nous racontait sa surprise de voir les joueurs nettoyer leur vestiaire après les matches. Mis au repos face aux Tonga, le capitaine McCaw jouait les porteurs d’eau pour ses coéquipiers. Et on a vu la star Sonny Bill Williams se charger des ballons à l’entraînement.

L’ex-deuxième-ligne Brad Thorn, plus du genre terrestre que céleste, a avoué que, sans le concours d’Enoka, les All Blacks auraient eu du mal à résister à l’énorme attente médiatique lors de la Coupe du monde organisée chez eux, en 2011. L’homme qui prend soin des têtes anticipe aussi. Ainsi, le trois-quarts Israel Dagg a vécu une année difficile : une nonsélection, puis une blessure à une épaule, il y a deux semaines. Il a reçu des messages d’Enoka, qui voulait le garder « connecté » au groupe. Cadet d’une famille de six enfants et placé en orphelinat à dix-huit mois, le manager adjoint connaît le sentiment d’abandon. Et si l’atout majeur des Blacks était là ? Non pas dans un crochet intérieur spectaculaire ou dans une passe après contact, mais dans cet indicible travail sur la relation humaine ?