Interview « Questions de Mental avec Laurent Gambotti, Ultra-Triathlon »
Bonjour Laurent,
En tant qu’ancien triathlète désormais Préparateur Mental, j’ai eu envie, à la lecture de ton exploit début septembre au Pays de Galles (3e de l’Ultraman pour sa 1ère participation), de t’interroger sur ta vision de l’aspect mental lors de la préparation et lors d’une épreuve d’ultra-triathlon.
Tu as sympathiquement accepté ma proposition, et je t’en remercie.
Présentation
Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Laurent Gambotti et suis né le 10 novembre 1981 (33 ans) à Bastia. Sportif amateur depuis longtemps, j’ai pratiqué le football, le squash, la chasse sous marine, la motocross, le vtt et le trail. Il y a 4 ans, après avoir ressenti des douleurs aux genoux, j’ai décidé de laisser de côté le trail pour faire du vélo de route moins traumatisant pour les articulations. C’est à ce moment que naturellement je me suis tourné vers le tri. J’ai commencé par des distances courtes et puis rapidement de plus en plus longues. Au bout de 2 ans je faisais mon premier Ironman et 1 an plus tard l’Ultraman…
Qu’est-ce que l’Ultraman en triathlon ?
L’Ultraman est le summum du triathlon. Il s’agit d’un ultra-triathlon dont les distances sont les suivantes : 10 km de natation, 420 km de cyclisme, et 85 km de course à pied le tout sur 3 jours mais en moins de 36 heures au total.
Quand et comment en es-tu arrivé à faire ta première épreuve ?
Après avoir terminé mon premier Ironman à Nice en 2014, j’avais la sensation de ne pas avoir pu atteindre mes limites, de ne pas avoir suffisamment « souffert » pour passer la ligne. J’avais envie d’autre chose : de quelque chose de plus dur, de plus élitiste et de plus exigeant pour le corps et pour l’esprit.
Objectifs
Quels objectifs avais-tu avant l’épreuve du Pays de Galles les 5, 6, 7 septembre 2015 ?
Mes objectifs étaient simples : être finisher et réussir à prendre du plaisir.
Lesquels as-tu réussis ?
Les 2. J’ai non seulement réussi à être finisher, à prendre beaucoup de plaisir, aussi incroyable que cela puisse paraître mais en plus à monter sur le podium. Que du bonheur !
« Le corps est en souffrance. Reste alors uniquement le mental. Et c’est là qu’il faut être solide »
Gestion mentale
Pour toi, le « mental », c’est quoi ?
Pour moi c’est ce qui peut faire la différence entre 2 athlètes de même niveau, ce qui permettra d’aller chercher dans ses réserves lorsque l’on est à la limite de la rupture, le moyen de se surpasser.
Quelle place prend-il selon toi dans ce genre d’épreuve ?
Fondamental ! Lorsque l’on passe 4 heures à nager, 10 heures sur un vélo ou 9 heures à courir les occasions de baisser les bras sont nombreuses. Le corps est en souffrance. Reste alors uniquement le mental. Et c’est là qu’il faut être solide.
Lors de tes entraînements, comment te prépares-tu mentalement à un tel triathlon ?
Comme pour le physique, le mental se prépare et s’entraine.
Pour ma part, il s’agit tout simplement de m’imposer des séances très dures, parfois plus dures que les conditions réelles de course :
- pour la natation, c’est sortir nager seul durant 3 heures avec une mer mauvaise, du courant ou très peu de visibilité.
- pour la course à pied, cela consiste à faire des sorties de 5 heures en courant dans le sable sous plus de 30°C, seul et avec un rationnement en eau.
Dans ces conditions, je t’assure que sans mental on ne finit pas la séance…
Une autre méthode consiste à se faire « mal » en sortant de sa zone de confort :
- se lever à 4h30 du matin 5 fois par semaine pendant ses vacances 3 semaines durant pour sortir s’entrainer entre 4 et 10 heures consécutives en fait parti ;
- sortir s’entrainer lorsque le corps est fatigué et que tu n’en as aucune envie aussi !
Durant ma préparation des 6 derniers mois, je n’ai pas sauté une seule séance programmée et ce quelque soit mon état physique ou les conditions météo. C’est une manière de tester sa force de volonté.
Travailles-tu cet aspect seul ou avec un Préparateur Mental ? Pourquoi ce choix ?
Je commence à avoir un peu d’expérience à ce niveau là et je me connais bien. Donc je travaille cela seul. Pour moi cela reste quelque chose de très personnel. Je suis le mieux placé pour savoir où se situe ma zone de confort et comment en sortir.
« Il est très facile de se laisser prendre dans des pensées négatives qui pourraient mener à un abandon »
Confiance en soi
Sur les trois épreuves (natation, cyclisme, course à pied) quelle est l’épreuve que tu abordes avec le plus de confiance ?
Sans aucun doute le cyclisme.
Peux-tu décrire en quelques mots comment se caractérise, chez toi, cette confiance ?
Par des montées fréquentes d’adrénaline. Quand mon corps répond bien aux sollicitations, cela se répercute sur mon mental qui à son tour influe sur mes performances. C’est un cercle vertueux.
Et quelle est l’épreuve que tu abordes avec le moins de confiance ?
La natation. J’y suis venu sur le tard et comme beaucoup de gens dans ce cas, ma technique laisse à désirer.
Comment se caractérise, chez toi, ce manque de confiance ?
Contrairement au 2 autres disciplines, il est difficile de réussir à s’évader pendant que l’on nage. Il n’y a rien pour se distraire et quand la fatigue s’installe, ton cerveau se focalise alors sur cette fatigue où les douleurs que l’on ressent. Il est très facile à ce moment là de se laisser prendre dans des pensées négatives qui pourraient mener à un abandon.
Comment parviens-tu à déjouer cela ?
Dans ce cas là, j’essaie de me focaliser sur des détails : le ressenti de l’eau sur mon corps, aux sensation de glissement sur l’eau, la manière dont ma main pénètre dans l’eau, etc.
Plus que tout je focalise mon esprit sur des pensées positives. Je me dis à moi même :
- « Ok il reste encore 7 km à nager… mais j’en ai déjà parcouru 3 ! »,
- « Ok il fait froid… mais cela reste supportable pour le moment ! »,
- « Ok je suis fatigué… mais je ne dois pas être le seul ! ».
Il ne s’agit pas de nier les mauvaises sensations mais seulement de se focaliser sur les bonnes. Il faut relativiser. Tout est une question de point de vue.
« Tiens bon, tu as mal, mais c’est ta tête qui commande ! »
Le mental lors de l’ultra-triathlon du Pays de Galles
Lors de l’Ultraman du Pays de Galles, quels sont les moments où ce fut, mentalement, le plus dur pour toi ?
Je pense à un moment en particulier : lors des 280 km de vélo du deuxième jour où lors de la montée d’un col au km 200, j’ai failli lâcher le groupe de tête car mes genoux me faisaient atrocement souffrir et qu’il m’était impossible de me mettre debout sur le vélo. Cela aurait signifié perdre de nombreuses places au classement général.
Comment t’y es-tu pris pour surmonter les difficultés rencontrées ?
Grâce à l’aide d’un autre concurrent.
Alors que j’étais en souffrance, un des concurrents m’a fait un signe qui m’a énormément aidé. Il s’est retourné vers moi, m’a vu en difficulté, alors que j’étais jusqu’alors en tête de peloton, et du doigt s’est touché la tête. J’ai immédiatement compris ce qu’il voulais dire : « Tiens bon, tu as mal, mais c’est ta tête qui commande ! ». J’ai serré un peu plus les dents, repris ma respiration, et m’a tête a repris le contrôle de la situation en faisant partiellement abstraction de la douleur. J’ai pu tenir et passer ce mauvais moment.
Y-a-t-il des mots, des phrases qui te guident, (ou des chansons, … ) qui te permettent d’avancer dans ces moments-là ? Si oui lesquels ? Si non, comment t’y prends-tu pour continuer à t’accrocher ?
Plutôt des mantras que je me répète encore et encore ou des pensées positives basées sur des choses qui me sont chères (mes enfants) ou encore la visualisation de l’atteinte d’un objectif.
A la sortie de cet ultra-triathlon, quelles te semblent être tes forces mentales ?
Sans aucun doute la détermination.
« J’ai terminé les 15 derniers kilomètres en volant…
Je pense même que j’aurais été capable de faire 15 km de plus »
L’état de grâce ou le « flow »
Peux-tu nous raconter un moment de la course où tes perceptions physiques se sont trouvées modifiées positivement (en ressentant moins de douleur par exemple), une sensation d’invincibilité (bien-être extrême), et où les notions d’espace et de temps n’existent plus ?
Lors du troisième jour où je devais parcourir 85 km avec le passage de 3 cols de montagne, j’avais décidé de ne pas regarder ma montre pour ne tenir compte ni de la distance ni du temps qui, dans ces cas, semblent ne jamais avancer. Cependant au bout (approximativement 7h de course) j’ai commencé à ressentir de fortes douleurs musculaires et articulaires et en à avoir marre. C’est alors que je dis à mon équipe ce que je ressens. La réponse est cinglante : « Profite du moment ».
J’ai alors pris conscience de beaucoup de choses : des sacrifices que j’avais fait pour en arriver là, notamment les heures d’entrainement et de souffrance au détriment de ma famille) mais aussi la chance que j’avais d’être là dans ces paysages grandioses à faire quelque chose que j’aime. Comment finalement je pouvais me plaindre ? J’ai terminé les 15 derniers kilomètres en volant… Je pense même que j’aurais été capable de faire 15 km de plus.
Comment expliques-tu ce phénomène ?
Le corps humain a une capacité extraordinaire : celui de s’adapter. Lorsque l’on pense que c’est fini, on se trompe. Il reste toujours des ressources. Et c’est là que le mental entre en jeu. En focalisant son esprit sur des pensées positives, on peut parvenir à faire abstraction du message que nous envoie notre corps (fatigue, froid, douleur, faim, soif, …), pour aller chercher des ressources insoupçonnées et continuer à avancer. En fait chacun de nous est bien plus fort qu’il ne le pense.
Comment t’y prendrais-tu pour le reproduire lors d’une prochaine compétition ?
De la manière que j’ai fait au Pays de Galles. En me rendant compte de la chance que j’ai de pouvoir être là car au final personne ne m’oblige. J’ai choisi de souffrir. Il ne faut pas que j’oublie cela.
Avenir
Quels sont tes objectifs pour l’année à venir ?
Il est encore trop tôt pour le dire mais ma « wish-list » est encore longue et heureusement. Beaucoup de challenges orientés longue distance m’attirent. J’attends aussi la confirmation de ma participation aux championnats du monde d’Ultraman à Hawaii en 2016 grâce à ce podium.
Si tu travaillais avec un Préparateur Mental, quels aspects souhaiterais-tu travailler ?
J’ai toujours intégré la méditation et la respiration à mon travail de préparation mais c’est un aspect que j’aimerais travailler d’avantage.
Merci encore, Laurent, d’avoir accepté de répondre à ces « Questions de Mental » de façon aussi précise. C’est passionnant d’entrer et d’afficher ainsi ce qu’il se passe dans la tête d’un athlète de ton niveau.
Je te souhaite une bonne continuation dans tes entraînements et la réalisation de tes objectifs !
Florent.